TEAM AMERICA : South Park version Thunderbirds ?
Nous avions évoqué la carrière de Matt Stone et Trey Parker tout récemment sur notre article consacré à la génialissime South Park. Mais leur insolence ne s’arrête pas à un cartoon à succès, nos deux comparses se sont essayé également au cinéma et à la comédie musicale ! On parlera ici cinéma avec Team America aujourd’hui. Sur le plan de la comédie musicale, tous deux nous ont gratifié un excellent Cannibal The Musical qui aura un énorme succès outre-atlantique avant d’enchaîner sur leur second succès, The Book of Mormons qui est d’ailleurs passé en Europe tout récemment, et que je n’ai malheureusement pas eu la chance de découvrir encore.
Niveau ciné, nos deux amis ont eu un succès plus mitigé. Néanmoins, on peut citer Captain Orgazmo. Le film surfait déjà sur la vague des mormons où le héros, campé par Parker, se lance dans une carrière d’acteur porno. Et enfin BASEketball, film mettant en scène notre duo mais réalisé par David Zucker à qui l’on doit les excellentes aventures de Leslie Nielsen dans les Y-a-t-il un flic… Ce film aura d’ailleurs un meilleur succès que les autres, sachant que nos deux amis n’en seront que les acteurs.
Enfin, Stone et Parker ont aussi attaqué la sitcom « live » avec l’excellente série Bush Président ! Diffusée il fut un temps en France et mettant en scène une pastiche de l’administration Bush… On aimerait qu’ils fassent une nouvelle sitcom sur Trump tant le contenu abrutissant serait riche avec cette nouvelle administration au pouvoir.
Team America, fiston illégitime des Thuderbirds
Ici, nous allons donc nous attarder sur l’un de leur plus gros succès en dehors de South Park et leurs comédies musicales, à savoir Team America, Police du monde !
Ce qui frappe déjà, c’est que nous ne verrons ici aucun acteur réel. Tout est fait de maquettes et de marionnettes dans le plus pur style des Thunderbirds de 1965. Je me rappelle avoir découvert cette série grâce à ma mère et avoir les jouets officiels de la série. Tout était très kitsch dans cette série : on voyait les fils, les décors bougent, les personnages avancent de manière saugrenue et risible (normal ce sont des marionnettes me direz-vous). Pourtant, pour l’époque, c’était très bien fichu mais aujourd’hui ça reste plutôt drôle et iconique au final. Le style futuriste imaginé nous fait penser un peu aux Jetsons d’ailleurs par moment (oui, les Pierrafeu du futur).
Stone et Parker ont eu envie de reprendre le concept jusqu’aux marionnettes pour faire un film dans lequel les Thunderbirds sont la Team America, la police mondiale (gérée forcément par l’oncle Sam) et chassent les méchants terroristes arabes ou communistes.
Nous sommes en 2004, South Park cartonne, le film de la série a eu un succès éloquent et notre duo loufoque a les mains libres pour s’amuser comme ils le veulent… Alors pourquoi ne pas parodier les Thunderbirds avec EXACTEMENT la même méthode qu’en 1965, soit 40 ans plus tard… Est ce que l’on est pas un peu sur de l’archéologie ciné expérimentale là ?
Le Thunderbirds d’après ?
Thunderbirds en 1965, c’était un sacré boulot, énormément de boulot même Entre les marionnettes et leur variété, les maquettes, les effets spéciaux, on était bien loin du numérique ! Stone et Parker ont voulu du coup aller sur la même chose, à savoir éviter tout effet spécial numérique, uniquement des effets à l’ancienne.
A la base, ils avaient lu le scénario du Jour d’Après, avec Jack Gyllenhaal et Dennis Quaid, et étaient pliés de rire en voyant le scénario qui en gros, et c’est vrai, disait, le monde se fait attaquer par le climat… Pour eux, c’était un scénario digne d’un épisode de Thunderbirds. Du coup ils ont demandé les droits de Thunderbirds pour en faire un film qui s’appellerait “le jour du jour d’après” se foutant complètement de la gueule du film initial qui serait sorti une ou deux années plus tôt.
Problème : Ils découvrent d’une part que Thunderbirds va faire l’objet d’un film, avec des acteurs réels (ce qui les décevra beaucoup… et le film ne sera pas un succès qui plus est) et pasticher le film de Roland Emmerich pourrait leur coûter un procès…. Et ils en ont un peu assez des gens qui les attaquent déjà suffisamment avec South Park. Du coup ils partent sur le projet que l’on connaît, pastichant Thunderbirds mais dans un style qui rend hommage à la série plutôt que le parodier finalement.
Tournage éprouvant et stressant pour Team America
Le tournage débutera après quelques refus de studios, avec une équipe de pas moins de 200 personnes pour s’occuper des décors et des DEUX-CENT SOIXANTE-DIX personnages. Pour un film pareil, c’est assez costaud, car ce sont parfois 4 personnes en même temps qui manipulent chaque marionnette ! Et les 200 personnes sont sur le pont en permanence pour s’assurer que tout se déroule comme il faut.
Le tournage sera arrêté à de nombreuses reprises, Stone et Parker ayant parfois du mal à saisir le bon ton comique et faisant donc reprendre ou stopper la production le temps d’aller dans le bon sens artistique et comique. C’est quoi le bon ton pour eux ? Et bien pour les citer en gros, voir une marionnette faire une blague, ce n’est pas drôle, par contre, voir une marionnette, souffrir, saigner, faire l’amour ou raconter une enfance douloureuse dans une scène mélodramatique ringarde ça fait rire, car on n’imagine pas une marionnette agir comme un vrai acteur de chair et d’os.
Le film sera une vraie plaie à tourner, Parker ayant un sens du détail et de la perfection qui le forcera à bosser 20h par jour et utiliser des somnifères pour dormir, le film sera finalement terminé dans les temps mais au prix d’une très grande fatigue chez toute l’équipe.
Du kitsch, du kitsch et du kitsch
Le film fait beaucoup penser à South Park de par sa critique ouverte envers les USA. On ne peut que rire devant la première scène qui mets en place tous les clichés possibles dans un Paris de carte postale où se côtoient un mime, des 2CV, nos monuments historiques pas à l’échelle du tout, un enfant habillé comme un écolier des années folles et du français se limitant à quelques mots comme “croissant” “baguette” ou “sacrebleu”. Bref, on y voit un terroriste “très discret” s’apprêtant à faire sauter une bombe, mais heureusement, la Team America est là et tue tout les méchants….
En détruisant la ville et tous ses monuments avant de voir un de leur membre se faire assassiner par un terroriste dans son dernier souffle. Cette scène est importante car elle met en place le ton comique évoqué plus haut, voir la marionnette, agonisant dans les bras de sa douce à qui il a fait une demande en mariage quelques minutes avant, c’est tordant et va à l’inverse de la réaction supposée dans un film avec des vrais acteurs.
L’équipe va devoir affronter les terroristes de plus en plus nombreux et recruter un nouveau membre, Gary, qui de par ses talents d’acteur pourra se faire passer pour un taliban (on est en plein post 9/11 à l’époque)… en fait ils lui maquillent la peau en marron et lui ajoute de gros sourcils et pleins de poils partout… Ce film est un concentré de clichés et c’est génial.
Irrévérence
Les talibans d’ailleurs, ne savent que dire “Baka Balaka, Mohammad, Djihad”, on est dans le pur South Park car cela avait déjà été fait dans la série (et ce sera fait encore après). Et après une mission périlleuse qui verra la ville du Caire sauvée/détruite par l’équipe, Gary deviendra un membre à part entière de l’équipe. On va pas vous faire une rétro scène par scène, mais on peut citer une scène de sexe entre deux marionnettes, hyper explicite (mais les marionnettes n’ont pas d’organes génitaux) sur fond de musique douce où celles-ci vont s’adonner au plaisir de la chair dans tous les sens et de manière très active.
La comédie musicale “Tout le monde a le Sida” qui vous laisse entre hilarité et incompréhension la première fois et une armée de comédiens, la FAG, Film’s Actor Guilde qu’on peut traduire ici par “Pédé” (Fag signifie cela en Anglais) qui sont là pour jouer les bons samaritains à savoir “la guerre c’est mal, Team America détruit tout, c’est pas bien, ouin” avec entre autre des marionnettes de Helen Hunt, Susan Sarandon, Tim Robbins, Sam Jackson, Sean Penn, George Clooney, Martin Sheen ou encore, Alec Baldwin considéré ici comme le meilleur acteur du monde (dans ta gueule Daniel Day Lewis !).
Et enfin le grand méchant de l’histoire, Kim Jong Il, qui joue ici son meilleur rôle ever!
Un accueil réussi, mais pas sans conséquences
Le film a frôlé le R-Rating aux USA à cause de sa scène de sexe originale qui devait montrer les deux héros aller dans le scato et l’uro… Forcément ça ne passait pas, et il a fallu pas moins de 9 essais de scènes pour que le film ne soit pas interdit au moins de 17 ans ! Ce qui fera rire jaune Parker qui dira que ça ne dérangeait personne de voir un mec se faire exploser la tête dans un bain de sang, mais par contre deux marionnettes qui font l’amour comme peuvent s’amuser à le faire des gamins avec leurs Barbie, ça choque tout le monde.
La plupart des célébrités parodiées ici ont apprécié leur apparition et ce, même si leurs personnages subissent un triste voire violent sort parfois. Baldwin aurait adoré le projet, voulant même donner sa vraie voix (en VF ce sont les vrais comédiens de doublages des acteurs qui seront sollicités), et disant même que sa fille adorait se foutre de son père par rapport à une scène entre lui et Kim Jong Ill. Sean Penn en revanche, toujours aussi grognon, enverra une lettre d’insulte à nos deux amis, hilares, les invitant à aller avec lui en Irak et leur intimant d’aller voir la population masculine grecque pour vous la jouer poli. Seul Michael Moore est parodié “gratuitement” car Stone et Parker avaient très peu apprécié la manière dont leur interview a été montée dans Bowling for Columbine, allant presque dans la diffamation selon eux, et déformant leur propos initial.
Enfin, Clooney et Matt Damon aussi ont adoré, pour rappel ils sont amis dans la vraie vie, et Clooney est celui qui leur a donné un coup de pouce au lancement de South Park, occasionnant ainsi une apparition de Clooney faisant les “ouaf” de Sparky le chien gay de Stan (ouais plus c’est WTF et plus c’est du Stone / Parker). Quant à Damon, je ne pouvais pas ne pas vous expliquer pourquoi il est ainsi dans le film.
Matt Daaamon !
Si vous n’avez pas encore vu le film, vous verrez Matt Damon n’avoir aucun autre dialogue que son nom, Matt Damon, qu’il hurle à tout va comme un attardé mental et pour cause…. Le personnage avait tout un tas de lignes de dialogue, et l’acteur en question était au courant de sa parodie dans le film. Cependant, au moment où la marionnette est arrivée, Stone et Parker sont partis dans un fou rire interminable, jugeant que la marionnette avait plus un air d’attardé mental que l’acteur lui même…ils ont décidé de tout reprendre et en faire un attardé mental…sans en parler à Matt qui découvrira ça dans le film et en sortira à la fois hilare et un peu perplexe du genre “attendez mais j’espère que je suis pas perçu comme ça quand même?”
Tous les acteurs ici parodiés sont ceux qui étaient contre la guerre en Irak, cette pastiche n’est pas gratuite, le film se veut une critique acerbe de l’administration Bush, peu appréciée des créateurs (il n’y a qu’à voir leur sitcom), et du traitement des USA face au monde, se prenant pour les sauveurs du monde, en apportant “la liberté” tout en pillant les richesses et agissant pour son propre intérêt.
Stone et Parker ont toujours eu cette lucidité que leur pays n’est en réalité qu’un groupe d’immigrés venus décimer une population en l’envahissant, pour quelques années plus tard, faire effacer des mémoires collectives leur passé peu glorieux en allant combattre (non sans intérêt derrière) en Europe durant les grandes guerres, en combattant au Vietnam et en Corée (en niant totalement leur échec là bas, jusqu’en purgeant l’histoire via des films de propagande, il faut le dire, avec des Rambo et autres Chuck Norris qui tuent les “jaunes” par centaines).
Stone et Parker montrent ici, toute la lucidité qu’ils ont sur la véritable histoire de leur pays et de ses agissements. Jamais ils ne vont vers une dérive complotiste comme on a pu le voir ailleurs pour le 11 septembre. Non, ici ils sont surtout sur la critique de la guerre en Irak, la seconde même, qui pour eux n’est qu’un prétexte de plus pour piller des ressources et poser leurs pions pour s’assurer une géopolitique allant dans leur sens.
Un film à double lecture qui n’a pas vieilli d’un poil (hélas)
Team America c’est un peu ça, un film sérieux qui ne se prends pas au sérieux, usant des mêmes stratagèmes que les USA avec les films depuis toujours. On perds une guerre? Pas de soucis, on va foutre des mecs musclés qui tuent pleins de Viêts et on va matraquer les salles de cinéma jusqu’à ce que les gens croient que le Vietnam soit une guerre difficile mais gagnée…
Idem pour la seconde guerre, ils feront des films en se qualifiant de libérateurs, oubliant au passage le rôle énorme des russes, des britanniques et des résistants, toujours oubliés ou mis de côté, faisant croire depuis toujours par exemple, que les français aiment perdre la guerre et sont des lâches, ce qui est historiquement faux, sachant que ce sont nous qui les avons aidé à gagner la guerre de sécession entre autre…mais pareil, le cinéma enjolive la réalité pour créer un sentiment de patriotisme ambiant et toujours plus de chair à canon pour assouvir les intérêts d’une élite. Je ne fais que vous donner l’interprétation de Stone et Parker, que j’approuve certes, mais qui se reflète dans la plupart de leurs créations.
En vérité, les acteurs ici parodiés, notre duo farceur est de leur côté, ce qui renforce le coté gros con de Sean Penn qui ne voit ici nullement le double sens de la chose mais juste son égo blessé parce que sa marionnette se fait zigouiller. Toute l’exagération de la Team America, avec ses moyens, ses destructions pour le bien de la “liberté” et son côté leader mondial auto-proclamé n’a pas pris une ride.
Si durant l’ère Obama on a senti un apaisement de ce sentiment, l’arrivée de Trump, a fait passer Bush pour un enfant de choeur au QI élevé. Si Team America était à refaire en 2020, on ajouterait uniquement le fils de Kim Jong Il, on foutrait du Trump par ci-par là et la guerre en Irak serait celle de la Syrie avec en méchants un duo Poutine et Kim Jong Un… Et le tout sans toucher grand chose au contenu initial.
Team America : Non, non, rien a changé (air connu)
Car oui, rien n’a vraiment changé. A part la Russie qui agit comme le faisait les USA dans les années 90/2000 désormais, mais au final, on rigole salement avec Team America, et puis une fois le rire passé, on repense un peu à la double lecture et on s’aperçoit vite que tout comme la série South Park ou même des films comme Idiocracy, on vit dans un drôle de monde qui reproduit sans cesse ses erreurs, et pour éviter le lynchage, la dénonciation de ces pratiques terribles, ne peut se faire qu’à travers l’humour qui en devient presque un code secret pour éveiller ceux qui se font endormir par toutes les formes de propagandes existantes… Au final, l’humour reste et restera toujours la meilleure arme pour s’opposer aux mauvaises choses, et Team America est bien plus qu’un film de marionnettes et mérite qu’on s’y attarde de plus près.