Insaisissables 3 : Le tour de passe… passe ?
Neuf ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour que les Quatre Cavaliers (The 4 Horsemen pour les plus anglophones) se décident à remonter sur scène. Après un premier opus en 2013 qui avait réussi le tour de force de transformer un budget de 75 millions de dollars en 351 millions de recettes mondiales, et un deuxième volet en 2016 qui confirmait l’appétit du public pour ces braqueurs-illusionnistes en col blanc, Insaisissables 3 débarque enfin en salles. Mais est-ce que cette trilogie avait vraiment besoin d’un troisième acte ? Alors, oui, car sinon ça ne s’appellerait pas une trilogie, mais est-ce une raison suffisante ?
Retour sur la franchise : de l’illusion à la désillusion ?
Le premier Insaisissables, réalisé par Louis Leterrier (le frenchy à qui l’on doit Le Transporteur, L’Incroyable Hulk, Fast and Furious 10 ou encore les séries Netflix The Dark Crystal : Age of Resistance et Lupin), avait su capitaliser sur un concept séduisant : et si des magiciens utilisaient leurs talents d’illusionnistes pour réaliser des braquages spectaculaires tout en redistribuant l’argent aux plus démunis ?

Une sorte de Robin des Bois version Las Vegas, porté par un casting quatre étoiles – Jesse Eisenberg (Batman v Superman, The Social Network ou encore Zombieland) en leader charismatique mais arrogant, Woody Harrelson en mentaliste cynique (les séries Cheers et True Detective, au ciné dans Tueurs Nés, Larry Flint, le calamiteux Venom 2 ou encore le film dont je suis peut-être le seul à me souvenir : Money Train), Isla Fisher en maître de l’évasion (vue dans Serial Noceurs et dans Tag et accessoirement ex de Sacha Baron Cohen), et Dave Franco (le frère de James) en pickpocket virtuose. Face à eux, Mark Ruffalo (Hulk dans le MCU) dans le rôle d’un agent du FBI qui se fait balader à chaque tournant, et Morgan Freeman (Seven, The Dark Knight, Invictus…) en ancien magicien devenu démystificateur.
Le film fonctionnait sur un principe simple mais efficace : multiplier les twists, garder le spectateur sur le qui-vive, et surtout ne jamais laisser retomber le rythme. Oui, les tours étaient parfois ridicules. Oui, la logique interne vacillait régulièrement. Mais l’énergie était là, portée par une mise en scène nerveuse et un montage qui ne vous laissait pas le temps de réfléchir. Insaisissables 2, signé Jon Chu (qui allait ensuite réaliser Crazy Rich Asians, In the Heights et Wicked), avait tenté de hausser la barre avec des illusions encore plus grandioses – cette scène de « vol » de carte à jouer reste dans les mémoires – mais souffrait d’une surenchère qui finissait par épuiser. La franchise semblait avoir atteint ses limites narratives.
Insaisissables 3 : de quoi ça parle ?
Sans spoiler les multiples retournements qui parsèment (évidemment) ce nouvel opus, le pitch est le suivant : les Quatre Cavaliers originaux sont sollicités pour une mission d’une ampleur inédite. Il s’agit de dérober le Diamant-Cœur, un joyau légendaire détenu par une organisation criminelle internationale spécialisée dans le trafic d’armes, incarnée par une Rosamund Pike visiblement ravie de pouvoir jouer les méchantes stylées.

Pour cette mission impossible, Daniel Atlas (Eisenberg) recrute trois jeunes prodiges de l’illusion – interprétés par Ariana Greenblatt (que l’on devinait sous le maquillage de Gamora enfant dans Avengers Infinity War), Dominic Sessa (très bon dans le sympathique film de Noël d’Alexander Payne Winter Break) et Justice Smith (aucun lien avec Will, il avait été découvert dans la série Netflix The Get Down et le film Detective Pikachu) – qui vont devoir prouver qu’ils méritent leur place aux côtés des maîtres. Le film nous balade entre plusieurs continents (Belgique, Hongrie, Afrique du Sud, Émirats arabes unis) pour une série de numéros où se mêlent hologrammes, pickpockets, mentalisme et cascades acrobatiques. Ruben Fleischer (avec à son actif le sympathique Zombieland et le désastreux Venom) reprend la réalisation et opte pour une approche plus virevoltante encore que ses prédécesseurs, multipliant les effets visuels tape-à-l’œil…
Les tours qui marchent
Soyons honnêtes : Insaisissables 3 remplit son contrat de divertissement. Le film est rythmé, coloré, pas ennuyeux. On sent que toute l’équipe s’amuse, et ça finit par déteindre sur le spectateur. Les retrouvailles avec les personnages qu’on connaît depuis deux films sont agréables, et la franchise a toujours su jouer sur cette alchimie de casting qui fait mouche.
Le casting justement, parlons-en. Jesse Eisenberg et Woody Harrelson forment toujours un duo efficace, avec leur dynamique qui fonctionne toujours assez bien. Harrelson, en particulier, semble prendre un malin plaisir à jouer les vieux briscards cyniques. Isla Fisher, de retour après avoir manqué le deuxième volet (où elle était remplacée par Lizzy Caplan), apporte sa présence plus lumineuse, même si son personnage reste clairement sous-exploité. Les trois nouveaux – Greenblatt, Sessa et Smith – s’en sortent honorablement dans des rôles qui auraient pu n’être que des faire-valoir. Ariana Greenblatt, en particulier, démontre une vraie présence à l’écran et un sens du timing comique qui laisse présager de belles choses pour la suite de sa carrière.

Et puis il y a Rosamund Pike. Ah, Rosamund Pike ! L’actrice semble avoir compris exactement dans quel film elle jouait et décide de tout donner. Son antagoniste est délicieusement over-the-top, avec un accent inclassable (britannico-belge ?) qui fait parfois tiquer mais qui participe au côté cartoon assumé du personnage. Pike s’amuse, et nous avec elle.
Sur le plan visuel, Fleischer et son chef opérateur livrent quelques séquences relativement réussies. Une scène impliquant des hologrammes dans un musée est particulièrement bien foutue, et certaines illusions sont filmées avec suffisamment d’inventivité pour qu’on se laisse prendre au jeu. La production a visiblement mis les moyens, et ça se voit à l’écran.
Les tours de passe-passe ratés
Maintenant, parlons des éléphants dans la pièce. Et il y en a plusieurs.
Le scénario, d’abord. Fruit de l’écriture à trois mains (Eric Warren Singer, Seth Grahame-Smith et Mike Lesslie), il multiplie les twists au point que plus rien n’a vraiment d’impact. On en arrive à un moment où on anticipe tellement les retournements qu’ils perdent toute efficacité. À force de vouloir surprendre à tout prix, le film finit par être parfaitement prévisible dans son imprévisibilité.
La logique interne, ensuite. Alors oui, on sait qu’il s’agit de films sur la magie et qu’il faut accepter une certaine suspension d’incrédulité. Mais là, on atteint des sommets. Certaines « illusions » relèvent davantage de super-pouvoirs que de tours de magie, et le film ne prend même plus la peine de nous expliquer (même vaguement) comment les choses sont possibles. Le rythme, paradoxalement, devient un problème. Fleischer ne laisse jamais respirer. C’est vrille sur vrille, action sur action, rebondissement sur rebondissement. À vouloir maintenir l’intensité à 11/10 pendant 1h53, le film épuise. On aurait aimé quelques moments plus posés, des scènes qui laissent les personnages exister autrement que comme des rouages d’une mécanique narrative surchargée.

Les nouveaux personnages, justement, souffrent de ce manque d’espace. Malgré le talent des acteurs, leurs backstories sont expédiées en deux-trois répliques, et on peine à vraiment s’attacher à eux. Ils sont là pour assurer la relève façon série de films des années 80, on le sent bien, mais la franchise ne leur donne pas les moyens de vraiment briller individuellement.
Enfin, et c’est peut-être le défaut le plus gênant : le film manque cruellement de personnalité. Là où le premier avait une identité visuelle marquée, là où le second tentait au moins d’innover dans la conception des tours, ce troisième opus donne l’impression d’une production en pilote automatique. On coche les cases – du spectacle, des twists (dont certains très prévisibles), des stars, un méchant charismatique – sans jamais vraiment prendre de risque ou proposer quelque chose de neuf.
Le tour final : mission accomplie ?
Alors, verdict ? Insaisissables 3 n’est pas un mauvais film. C’est un divertissement honnête, qui fait le job pour lequel il a été conçu : vous faire passer un bon moment devant un écran en mangeant du popcorn. Les fans de la franchise y trouveront leur compte, avec des retrouvailles agréables et quelques nouvelles têtes sympathiques. Mais voilà : c’est un film profondément imparfait. Pris dans son propre dispositif, prisonnier d’une mécanique narrative devenue trop prévisible, il peine à justifier son existence au-delà du simple « pourquoi pas ? » commercial. Neuf ans après le précédent volet, on aurait pu espérer que la franchise revienne avec des idées neuves, une vraie envie de réinventer la formule. Au lieu de ça, on a droit à une resucée qui fait tout ce qu’on attend d’elle, sans jamais dépasser ces attentes.

C’est un film qui, comme ses personnages, mise tout sur l’illusion – celle qu’il se passe quelque chose d’important, de nouveau, d’excitant. Mais une fois le rideau tombé, une fois les effets spéciaux dissipés, il ne reste pas grand-chose. Pas de vraie émotion, pas de questionnement, juste le souvenir agréable mais évanescent d’un spectacle un peu creux.
Insaisissables 3 est le film parfait pour une séance ciné entre potes un mercredi soir pluvieux ou venteux mais le lendemain, vous aurez déjà un peu oublié. Comme un tour de magie, en somme. Visuellement surprenant sur le moment, mais qui ne résiste pas vraiment à l’examen. Et franchement, pour une franchise qui se targue d’être « insaisissable », c’est peut-être le plus grand tour de passe-passe : nous faire croire qu’il y avait quelque chose à saisir.

