LAST NIGHT IN SOHO, étrange !
Last Night in Soho, c’est étrange.
Ce n’est pas un film d’Edgar Wright classique, malgré ses prises de vue très étudiées et un rapport à la musique totalement viscéral. Non, ici l’humour est globalement limité pour ceux qui se souviennent de la trilogie Cornetto ou de la série Spaced. Non, ici les références geeks façon Scott Pilgrim ne foisonnent pas. Et enfin : non, pas de course poursuite en bagnole comme dans Baby Driver. Ici, Last Night in Soho est un thriller psychologique tendance fantastique dans lequel on se plonge et rien que cela est déjà assez étrange quand on est habitué à la réalisation de Wright. Le rythme n’est pas le même et les personnages sont au centre de l’histoire pour eux-mêmes et non pas pour leurs interactions.
Envoûtante LAST NIGHT IN SOHO…
La thématique est assez casse-gueule pour un réalisateur masculin qui se penche sur l’histoire d’une jeune femme de notre époque qui revit les moments de vie d’une autre jeune femme au milieu des années 60 qui voit sa vie basculer sous le joug d’un homme abusif, interprété par un Matt Smith bien loin de ses rôles dans Doctor Who ou dans The Crown ! D’autant plus que la caméra esthétisante de Wright a tendance à « objectifier » celle-ci. Évitons l’écueil d’imaginer qu’Edgar Wright cherche autre chose qu’à envoûter le spectateur avec la prestation d’Anya Taylor-Joy, qui après New Mutants, Peaky Blinders et Le Jeu de la Dame, retourne à un film aux atours fantastiques et horrifiques comme dans The Witch et les films de Night Shyamalan Split et Glass.
D’ailleurs le personnage de femme forte se révèle en mon sens être au final interprété par Thomasin McKenzie, actrice néo-zélandaise aperçue précédemment dans Jojo Rabbit et le récent Old de Night Shyamalan (encore lui !) qui joue ici Eloise Turner, une étudiante en mode qui débarque fraîchement à Londres. Même si bien entendu, et on le comprendra aisément au visionnage, sa prestation reste indissociable de celle d’Anya Taylor-Joy. Les personnages débuteront leur périple dans un Londres des années 60 idéalisé et renforcé par une bande-son étudiée avant de sombrer peu à peu dans l’horreur.
Chapeau Melon…
Un petit mot sur la 3ème femme forte de ce récit avec la logeuse de l’héroïne : elle est interprétée par Diana Rigg dans son dernier rôle avant son décès et le moins que l’on puisse dire c’est que l’interprète d’Emma Peel dans Chapeau Melon et Bottes de Cuir termine également sa carrière sur une note de femme forte. Et cela grâce à la co-scénariste écossaise du Last Night in Soho, Krysty Wilson-Cairns, qui avait été nommée pour l’Oscar du Meilleur Scénario Original pour le 1917 de Sam Mendes et qui va bosser sur un prochain film Star Wars. Celle-ci est à priori aux manettes de tout ce qui fait de ces femmes des personnages crédibles, humains et forts.
Pas en reste pour autant, la mise en scène millimétrée d’Edgar Wright avec les jeux de miroirs, allant jusqu’aux reflets dans les flaques d’eau, est étrangement hyperesthétisante alternant tons chauds allant jusqu’au rouge sang et noirs profonds. Elle se joue de ses héroïnes et du spectateur en laissant les personnages paraître tour à tour fous ou piégés par leurs peurs. A l’instar de Diana Rigg, Edgar Wright a fait appel à d’autres figures audiovisuelles britanniques des années 60 comme Rita Tushingham qui joue la grand-mère de l’héroïne et que l’on a vu notamment dans Docteur Jivago et dans quelques films de Richard Lester ou encore Terence Stamp, le fameux Zod dans le Superman de Donner et qui a joué pour les plus grands de Michael Cimino à Stephen Frears en passant par Tim Burton plus récemment.
Musique à Soho
Et comme je l’évoquais plus haut, la bande son a ici encore son importance. Non pas seulement pour son rythme, mais surtout pour nous emporter au milieu de ce Londres fantasmé des années 60. Cela n’est pas aisé au démarrage du film car la mise en place est un poil poussive, mais les titres de The Who, de Siouxsie and the Banshees, des Kinks ou encore de Dusty Springfield nous lancent dans le film comme ils lancent l’héroïne dans le passé. Il faudra noter également niveau musique le joli boulot d’Anya Taylor-Joy qui reprend elle-même de belle manière le titre de Petula Clark, Downtown, avec toujours une élégance des plus désarmantes.
Non, vraiment, Last Night in Soho est un film étrange. Il est à la fois imparfait dans son démarrage et avec un petit air de « déjà-vu » pour celui qui a visionné des films anglais horrifiques de l’époque. Et en plus il ne tape pas vraiment dans le cinéma référencé geek auquel nous avait habitué Edgar Wright depuis le début de sa carrière, et cela désarçonne forcément n’importe quel spectateur néophyte ou cinéphile qui vient voir un film de Wright.
LAST NIGHT IN SOHO : un voyage mémorable
Oui, Last Night in Soho est étrange mais parce qu’il est envoûtant et que l’on y repense plusieurs jours après le visionnage, parce que ses héroïnes y sont aussi belles que fortes et parce que le sujet de la place de la femme est aujourd’hui encore au centre de bien des questionnements de certains. Évidemment, il n’est pas certain qu’Edgar Wright soit la personne idéale pour dépeindre cela, ni même moi qui écris ces lignes sans avoir eu à vivre ce genre de problématique ou d’objectivation, néanmoins il reste un film tiraillé dans le bon sens du terme entre deux époques mêlant merveilleusement bien esthétisme, horreur et sujet de société.