Matlock (2024) : 1ère saison efficace ?

Matlock (2024)
© CBS

Un héritage télévisuel à respecter

Avant de parler du reboot de 2024, replongeons-nous dans l’univers de la série originale. Matlock a marqué le paysage télévisuel américain de 1986 à 1995, avec pas moins de NEUF saisons et 193 épisodes. Créée par Dean Hargrove, à qui l’on doit également la série Perry Mason, cette série judiciaire mettait en scène Andy Griffith dans le rôle de Benjamin Matlock, un avocat pénaliste d’Atlanta au charme sudiste indéniable. Avec ses costumes gris caractéristiques, son amour des hot-dogs et sa Ford Crown Victoria toujours impeccable, Ben Matlock incarnait l’archétype de l’avocat malin qui, épisode après épisode, parvenait à faire avouer les véritables coupables lors de contre-interrogatoires devenus légendaires.

La série a connu plusieurs changements de casting au fil des ans, avec notamment Linda Purl dans le rôle de sa fille Charlene lors de la première saison, puis Nancy Stafford, Clarence Gilyard Jr., Brynn Thayer ou encore Daniel Roebuck qui ont tour à tour épaulé le patriarche. Diffusée d’abord sur NBC puis sur ABC, Matlock s’est imposée comme un incontournable du genre procédural, au même titre que Perry Mason dont elle partageait la structure narrative. La série a même généré des spin-offs comme Jake and the Fatman et a croisé le chemin de Diagnosis Murder dans des crossovers mémorables.

Le Matlock original
Le Matlock original

Un pitch qui joue avec les codes

En 2024, CBS confie à Jennie Snyder Urman (créatrice de Jane the Virgin) la délicate mission de réinventer ce classique. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne se contente pas d’un simple gender-swap. Le pitch est malin : Madeline Kingston, avocate retraitée et fortunée, se fait passer pour Madeline « Matty » Matlock, une veuve fauchée qui doit reprendre le travail pour subvenir aux besoins de son petit-fils. Elle intègre le prestigieux cabinet new-yorkais Jacobson Moore avec une idée bien précise en tête : découvrir qui, au sein du cabinet, a dissimulé des preuves qui auraient pu sauver sa fille Ellie, décédée d’une overdose d’opioïdes.

L’astuce narrative ? Dans l’univers de la série 2024, la Matlock originale existe bel et bien comme programme télévisé, et Madeline choisit ce pseudonyme en hommage à la série que sa fille adorait. On est donc dans une forme de méta-fiction réjouissante, qui permet de rendre hommage à l’original tout en s’en affranchissant complètement. Chaque semaine, Matty doit résoudre les affaires du cabinet tout en avançant ses pions dans son enquête personnelle, aidée secrètement par son mari Edwin et son petit-fils Alfie qui hackent les communications du cabinet depuis leur luxueuse demeure.

"Matty" Matlock
« Matty » Matlock

Un casting solide autour d’une icône

Kathy Bates, oscarisée en 1991 pour son rôle dans Misery et multi-primée aux Emmy Awards, incarne cette Matty Matlock avec une justesse remarquable. À 76 ans au moment du tournage, l’actrice a initialement annoncé que ce serait son dernier rôle avant de se rétracter, ce qui en dit long sur son attachement au personnage. Elle est entourée d’un casting solide : Skye P. Marshall campe Olympia Lawrence, l’avocate ambitieuse qui devient la patronne de Matty ; Jason Ritter (Parenthood) joue Julian, l’ex-mari d’Olympia et fils du directeur du cabinet ; David Del Rio et Leah Lewis incarnent respectivement Billy et Sarah, les jeunes recrues du cabinet. Beau Bridges (le grand frère de Jeff) apparaît également en récurrent dans le rôle de Senior, le patron du cabinet, ajoutant une dose de gravitas bienvenue.

La production est assurée par CBS Studios en collaboration avec Sutton Street et Cloud Nine. Kat Coiro, qui a notamment œuvré sur Jane the Virgin, réalise le pilote et apporte cette touche visuelle moderne qui contraste agréablement avec les codes du procedural classique. La série a d’ailleurs été renouvelée pour une saison 2 après seulement deux épisodes diffusés, un témoignage du succès immédiat auprès du public américain avec plus de 22 millions de téléspectateurs.

Matty et ses collègues de travail
Matty et ses collègues de travail

Un équilibre maîtrisé entre tradition et modernité

La grande réussite de cette première saison réside dans sa capacité à jongler entre deux types de récits. D’un côté, nous avons le format case-of-the-week traditionnel, avec des affaires juridiques variées allant du harcèlement sexuel aux accusations de meurtre, en passant par les actions de groupe contre le système carcéral. De l’autre, un fil rouge passionnant qui se dévoile progressivement : la véritable identité de Matty et sa quête de justice pour sa fille.

Le twist de fin du pilote, révélant que Matty n’est pas celle qu’elle prétend être, fonctionne à merveille et donne immédiatement une profondeur émotionnelle à la série. On n’est plus seulement face à une avocate maligne qui gagne des procès, mais face à une mère endeuillée qui utilise sa vulnérabilité apparente comme arme. Le thème de la crise des opioïdes ajoute une dimension sociale pertinente, ancrant la fiction dans des problématiques bien réelles.

Kathy Bates est tout simplement formidable. Elle joue sur plusieurs registres avec une aisance déconcertante : la vieille dame maladroite et attendrissante en public, la stratège impitoyable en privé, la mère brisée par le chagrin dans ses moments de solitude. Sa performance rappelle pourquoi elle est considérée comme l’une des plus grandes actrices de sa génération. Le personnage d’Olympia, interprété par Skye P. Marshall, bénéficie également d’un développement intéressant, avec ses propres dilemmes moraux et sa relation complexe avec Julian.

La série parvient à insérer des références intelligentes à d’autres classiques du genre (Perry Mason, Arabesque) tout en soulignant avec humour le fossé générationnel entre Matty et ses jeunes collègues. Les moments où elle feint de ne pas comprendre la technologie ou les codes du milieu corporate sont savoureux, d’autant plus qu’on sait qu’elle manipule tout le monde.

Olympia et Matty
Olympia et Matty

Quelques faiblesses narratives néanmoins

Malgré ses qualités indéniables, la saison 1 n’est pas exempte de défauts. Certaines affaires hebdomadaires manquent de profondeur et tombent dans des schémas prévisibles. Les rebondissements juridiques ne sont pas toujours crédibles, et on sent parfois que l’intrigue principale est mise en pause au profit d’affaires moins captivantes. Le rythme peut être inégal : certains épisodes avancent à grands pas dans l’enquête sur Wellbrexa (la compagnie pharmaceutique responsable de la mort d’Ellie), tandis que d’autres semblent faire du surplace.

Le casting secondaire, malgré ses efforts, peine parfois à atteindre le niveau de nuance de Bates. Certains personnages tombent dans la caricature, notamment Sarah dont l’ambition féroce est parfois jouée de manière trop appuyée, sans doute pour ajouter de la comédie à l’ensemble. Les jeunes avocats manquent d’épaisseur, et on aurait aimé que la série prenne le temps de mieux les développer individuellement plutôt que de les utiliser principalement comme faire-valoir de Matty.

Par ailleurs, la série navigue parfois maladroitement entre son ton léger de comédie et les enjeux dramatiques de l’intrigue principale. Les moments comiques, souvent basés sur l’âge de Matty ou ses interactions avec la technologie, peuvent sembler déplacés juste après des scènes émouvantes liées au deuil de sa fille. Cet équilibre des tons, qui fonctionne la plupart du temps, connaît quelques ratés.

Enfin, certains retournements de situation semblent un peu trop faciles. La manière dont Matty parvient à pirater les e-mails, à manipuler ses collègues et à éviter d’être démasquée relève parfois plus du scénario providentiel que de la vraisemblance. On accepte ces facilités narratives parce que Bates est convaincante, mais elles fragilisent par moments la suspension d’incrédulité.

Olympia et son ex-compagnon
Olympia et son ex-compagnon

Et la saison 2 de Matlock ?

La saison 1 se clôture sur plusieurs fils narratifs en suspens qui promettent une saison 2 riche en rebondissements. Sans entrer dans les détails pour éviter les spoilers, disons simplement que la véritable identité du père biologique d’Alfie sera au cœur des premiers épisodes, tout comme l’avancement de l’enquête sur Wellbrexa. Les relations entre Olympia et Julian devraient également évoluer, après une première saison tumultueuse. L’ajout de Justina Machado au casting en récurrent (dans le rôle d’une ex-femme de Senior) laisse présager de nouvelles dynamiques intéressantes.

La grande question demeure : combien de temps Matty pourra-t-elle maintenir sa couverture ? La série devra trouver un équilibre entre faire durer le suspense et éviter de frustrer le spectateur. Le risque serait de tomber dans la répétition ou de faire traîner artificiellement la révélation finale. Mais avec Jennie Snyder Urman aux commandes, qui a prouvé sur Jane the Virgin sa capacité à gérer des intrigues complexes sur la durée, on peut rester optimiste.

Beau Bridges joue Senior
Beau Bridges joue Senior

Un divertissement de qualité porté par une immense actrice

Au final, cette première saison de Matlock remplit son contrat : offrir un divertissement intelligent et émotionnellement satisfaisant. La série n’est pas parfaite, loin s’en faut, mais elle bénéficie d’un atout majeur : Kathy Bates, qui porte littéralement chaque scène sur ses épaules avec un charisme et une finesse d’interprétation remarquables. Son jeu en demi-teinte, oscillant constamment entre vulnérabilité affichée et détermination cachée, élève ce qui aurait pu n’être qu’un reboot alimentaire au rang de série addictive.

Le concept méta-narratif fonctionne, l’équilibre entre procédures judiciaires et arc narratif long terme est globalement bien géré, et les thématiques abordées (crise des opioïdes, invisibilité des femmes âgées, corruption dans les grandes firmes) donnent de la substance à l’ensemble. Certes, l’écriture connaît des baisses de régime, certains personnages secondaires mériteraient plus d’attention, et le ton oscille parfois maladroitement entre comédie et drame. Mais ces défauts n’empêchent pas la série d’être une réussite.

Matlock 2024 parvient à rendre hommage à son illustre prédécesseur tout en proposant quelque chose de différent et de contemporain. C’est exactement ce qu’on attend d’un bon reboot : respecter l’héritage sans se laisser étouffer par lui. Et avec Kathy Bates aux commandes, armée de son sourire malicieux et de son regard perçant, on a hâte de voir jusqu’où cette « Matty » Matlock nous emmènera dans les prochaines saisons.

Matty Matlock à l'oeuvre
Matty Matlock à l’oeuvre

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